Un regard sur la video indienne en Amerique Latine Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Écrit par Administrator   
26-09-2008

De Maria Paz Bajas.

Ce texte est un entretien avec Amalia Cordova, il fait partie d’un mémoire de Licence d’anthropologie « Des regards qui interprètent. Lorsque la caméra est entre d’autres mains. » Universidad Academia de Humanismo Cristiano.

Cet entretien a été filmé par Felipe Maturana.  La version originale est disponible a l'adresse suivante : http://www.antropologiavisual.cl/amalia_cordova.htm



      Amalia Cordova est titulaire d’une licence d’Art et d’Esthétique de la Pontificia Universidad Católica de Chile. Lorsqu’elle était étudiante, elle a commencé à travailler en relation avec la vidéo à travers différents projets audiovisuels menés par des archéologues du Musée Chilien d’Art Précolombien. On peut notamment citer sa participation à Incas y Diaguitas a traves de las Imagenes (1470-1536).

      En 2001, elle part vivre aux Etats-Unis et commence à travailler en tant qu’assistante de Carol Kalafatic au Musée National de l’Indien Américain de l’Institution Smithsonian de New York. Actuellement, elle coordonne les projets latino-américains. Elle mène des recherches, se charge des archives audiovisuelles, organise des expositions, traduit et sous-titre des vidéos. Ces différentes activités lui ont donné une vision privilégiée de la production audiovisuelle réalisée par les organisations indiennes latino-américaines. De plus, elle est en contact direct avec divers centres de production de vidéos.

      C’est justement pour sa vision de la vidéo indienne latino-américaine, des différents niveaux de développement que celle-ci présente et pour bien d’autres raisons encore que nous avons décidé de discuter avec elle…

Quand est né le CLACPI (Conseil Latino-américain de Cinéma et de Communication des Peuples Indiens) ? Quelles ont été les principales motivations qui ont mené à sa création ?

      Beaucoup de pays ont connu la dictature et la répression, et qui dit répression, dit médias alternatifs. Ces médias alternatifs servent aux communautés qui n’ont pas accès aux médias de masse. C’est pour cela qu’apparaissent les radios communautaires, les bulletins, les cassettes et d’autres supports permettant de transmettre des messages.

      Le CLACPI a été une tentative de rassembler  toutes ces expériences au Mexique en 86 et ce sont les anthropologues et les réalisateurs ethnographiques qui ont incité à sa création puisqu’il existait déjà au Mexique de nombreux fonds destinés au développement  et à la promotion de la richesse indienne en tant que patrimoine mais également en tant que donnée touristique.

      En 90, après avoir pris conscience de la présence de l’état Mexicain dans toutes les démarches, on a commencé, à travers de l’INI (Institut National Indien) à former les indiens qui plus tard ont intégré les CVI (Centre de Vidéos Indiennes) ? Qu’est-ce que  tu sais au sujet de cette expérience ?

      On a commencé avec le CLACPI après un festival en 86  qui avait pour but principal d’organiser divers matériels audiovisuels contenant une forte présence indienne, présence qui allait devenir grandissante tant comme protagoniste que comme auteur. Cela a un peu fait pression  sur le gouvernement qui dans le cadre de la diversité culturelle du Mexique, plus que dans sa diversité multiculturelle a débouché sur un projet de Transmission des Médias qui fut incité par l’INI. Celui-ci a pris la décision de créer des CVI, sorte de bureaux où se trouvaient l’équipement et un responsable qui était également animateur.  Le but de ce projet était de pouvoir commencer à faire de l’audiovisuel dans différents endroits. En 92, 4 centres de vidéos avaient vu le jour ; le premier à Oaxaca, puis au Yucatan et ensuite dans les états de Sonora et de Michoacán. Ceux de Michoacán et de Oaxaca ont été les plus dynamiques. Oaxaca est un état dans lequel la diversité indienne est très forte, c’est également un centre d’artistes et d’artisanat. On y trouve beaucoup de productions indiennes traditionnelles et artistiques. Beaucoup de choses sont en train de se passer là-bas, c’est un état différent des autres. C’est un lieu très fertile en termes d’expression artistique. Le développement de la vidéo indienne à Oaxaca vient s’appuyer sur cette dynamique.

Parlons maintenant de la Bolivie avec la création du CEFREC ( Centre de Formation et de Réalisation Cinématographique) en 1996…

      Le Plan National  Originaire de Communication Audiovisuelle, il me semble que ça s’appelle ainsi. J’ai cru comprendre qu’il a commencé en 96, après un long processus de consultation. Il y a eu plusieurs festivals CLAPCI ; il faut rappeler que le festival CLAPCI se déplace de pays en pays et qu’en plus de coordonner les vidéos indiennes, de les faire circuler et de créer des archives, il tente de donner une impulsion aux processus nationaux. Chaque fois que le festival CLAPCI s’établit quelque part c’est une opportunité pour les organisations et les vidéastes indiens locaux d’utiliser cet espace pour discuter de problématiques nationales, montrer ce qui a été fait si cela existe. Il y a des lieux dans lesquels la vidéo indienne est presque inexistante, il est donc nécessaire de s’organiser et de dialoguer avec des personnes ayant plus d’expériences.

      Par exemple, des mexicains viennent donner des formations en Bolivie. Alberto Muenala, quechua d’Équateur, est allé en Bolivie après avoir suivi des études au Mexique. On commence donc à avoir des personnes avec ce profil connaissant beaucoup d’endroits et ayant vu plus de vidéos. Il leur est alors possible  de donner des formations à différentes communautés de Bolivie.

      Le fait d’aller à Mexico pour profiter de leur expérience, ça a principalement lieu en Bolivie

      L’année durant laquelle a eu lieu le seul et unique festival de Bolivie et que se sont données les formations a été crée le Plan National. À ce moment-là s’est développée une méthodologie complètement différente, totalement indépendante de l’État permettant de conserver une certaine autonomie ce qui a provoqué la joie de ces populations. De plus, compte tenu de la géographie et de la diversité culturelle présente dans chaque région, des personnes de chaque zone sont choisies et ensuite envoyées  suivre des formations à Cochabamba, à La Paz, à Santa Cruz. Ils peuvent ainsi partager leurs expériences. C’est un système totalement rotatif, les formations et les personnes vont d’un endroit à un autre. Ces formations culminent dans la réalisation d’une œuvre. Il existe un réel processus de production permettant à tous d’expérimenter les divers postes : caméraman, preneur de son… Ils ne se donnent pas le nom de directeur mais celui de responsable, « personne à la charge de ». Ils font des fictions, des documentaires, des vidéo-clips, des reportages et même de la télévision communautaire en Bolivie. Ils sont très soucieux d’intégrer culturellement les différentes ethnies qui existent là-bas et, petit à petit, des groupes régionaux se sont formés. Il y a un groupe Aymara qui s’appelle Saphi Aru, un autre à Potosí, un autre dans la forêt. Ils maintiennent une cohésion, une unité entre eux au sein de la CAIB (Coordination Audiovisuelle Indienne Originaire de Bolivie).

Quand est apparu la CAIB ?

      Je crois que la même année (c’est précisé sur la page internet). Dans ce cas, le processus a été différent, un seul centre de vidéo regroupe toute la technologie – le CEFREC- en partenariat avec d’autres organisations indiennes. Ces derniers envoient un délégué audiovisuel qui va suivre les formations. De là sont nées une partie des organisations qui maintenant existent en Bolivie.

      Centre de Travail Indigéniste, Brésil.

C’est un type de formation distinct de ce qui s’est fait au Mexique ?

      C’est distinct de tout ce que j’ai connu. C’est vraiment particulier à la réalité bolivienne. Ce sont les seuls à posséder ce système. Le système au Brésil est l’initiative de deux personnes : Carelli et Gallois, et de beaucoup d’autres personnes qui étaient là avant eux. Il y a eu le CTI (Centre de Travail Indigéniste) avec Aurelio Michiles. Tout a commencé sous forme d’un programme pensé par eux visant à rassembler des informations sur les communautés. Carelli ainsi que Guillermo Monteforte ont cherché une manière de financer une organisation qui en plus de donner des formations aiderait au  filmage et conseillerait.

      En bref, dans les trois cas, on retrouve la vision d’un groupe de personnes prenant la décision d’aller vers une mise à disposition du matériel et ainsi de ne plus travailler pour l’état en tant que ¨bureau de¨ mais plutôt de créer des centres très pratiques et d’adapter les  apprentissages selon les besoins. Ces projets ne sont liés à aucune université. Ils apparaissent parce qu’une communauté arrive à la conclusion qu’ils ont besoin d’un encadrement et d’équipement. Dans de nombreux cas, apparaissent des gens comme Vincent Carelli, Guillermo Monteforte, Iván Sanjinés et Alex Halkin de Chiapas Media Project qui a emmené du matériel aux communautés zapatistes en 94. Parallèlement, il existait un mouvement faisant parvenir de l’équipement. Les actions ne doivent pas se résumer à le faire venir, le mettre en place et puis s’en aller. Dans beaucoup de cas, selon moi, il faut consulter la population pour savoir où aller, comment le faire, avec qui, pour quoi. Faire venir l’équipement puis enseigner comment l’utiliser, l’entretenir, comment post-produire et faire ensuite circuler les vidéos. Video Aldeas a commencé à dessiner une carte des vidéos existantes et à faire circuler ces dernières à l’aide d’un système de moniteurs mis en place an Amazonie. Amener des programmes  d’une communauté dans sa langue d’origine à une autre sans que ces derniers ne la comprennent c’est pour le moins montrer des images d’une communauté à une autre. C’est un ensemble, dans le cadre d’une formation tu montres comment faire la promotion et finis par produire quelque chose. C’est un système extrêmement condensé d’apprentissage. Certaines personnes commencent à faire des vidéos après deux semaines de formation et non pas après 4 ans d’études dans une école spécialisée. Enfin, c’est un système totalement différent. Les gens qui participent à ces formations ont souvent des responsabilités au sein de leur communauté. Certains ont parfois fait des études de ciné comme Alberto Muenala qui a reçu une bourse. Ils reçoivent parfois des bourses d’état comme Dante Cerano, un purepecha de l’état de Michoacan au Mexique, qui a reçu celle de Jeunes Créateurs du FONCA (Fond National de la Culture et des Arts) et des aides du CONACULTA (Conseil National pour la Culture et les Arts) ou des aides de l’État. Mais souvent, comme dans le cas de Crisanto Manzano, un zapotèque de l’état de Oaxaca au Mexique, les gens ont une vie établie avant que la vidéo  ne vienne y faire irruption. Ils sont déjà mariés, possèdent des terres, cultivent le café et la vidéo vient s’ajouter à tout cela. Ils ne peuvent pas laisser leurs responsabilités au sein de la communauté ou leurs récoltes de café. Les personnes qui entreprennent d’apprendre l’audiovisuel font face à un vrai défi, parce que la communauté parfois ne reconnaît pas cela comme une activité vraiment valable ou bénéfique pour elle et on entend des remarques du type ¨pendant que moi je suis en train de planter, toi tu t’amuses avec la caméra !¨.  Il y a tout un processus de négociation avec la communauté pour voir qu’elle va être la participation de celle-ci dans la vidéo. Les vidéastes expliquent pourquoi ils veulent faire une vidéo sur cette communauté et  les font ensuite participer.  En fait, c’est un énorme travail qui a été entrepris. Les vidéastes  sont en train de créer un espace pour l’audiovisuel dans les communautés.

Tu parles en particulier de la Bolivie ou de manière générale ?

      De manière très générale. En fait, la personne qui va suivre une formation en audiovisuelle s’absente de sa communauté pendant deux semaines, quelqu’un doit alors prendre sa place, s’occuper des enfants lorsqu’il s’agit d’une femme. Nous sommes en train de parler de personnes en situation de survie. En plus, dans le plus grand nombre de cas, le travail de la vidéo ne rapporte aucun bénéfice direct. Quand il s’agit des droits de l’homme, les gens se rendent compte que la vidéo peut être utile pour transmettre un message à un plus grand nombre, pour mettre en évidence des abus ou un problème relatif aux Droits de l’Homme. Dans ces cas-là, les gens coopèrent et participent. On ne peut pas ne pas prendre en compte les expériences précédentes de la communauté avec le monde de l’audiovisuel. Les gens de l’extérieur viennent, filment et s’en vont. On n’entend plus jamais parler d’eux. C’est pour ça que je souligne l’importance de ces antécédents. Ça ne consiste pas à venir et faire des vidéos. La vidéo a un passif dans les communautés et on en discute habituellement durant les formations. Il est également intéressant de montrer des vidéos aux communautés venant d’autres groupe : montrer des vidéos indiennes du Brésil en Bolivie, du Mexique au Chili parce que les gens ne réalisent pas ce qu’est une vidéo, ce n’est pas comme la télévision ou aller voir un film au cinéma. Certaines communautés n’ont  pas l’électricité en Amazonie, dans le nord, au Chili. Donc c’est difficile  de faire de la vidéo, c’est cher. Les gens ne sont pas familiarisés avec les formats, ils ne savent pas comment les choisir. C’est pour ça qu’il est appréciable avoir un endroit où les gens peuvent aller poser leurs questions, emprunter une caméra pour filmer, revenir, discuter de ce qu’ils aimeraient faire, faire le montage, en parler avec d’autres, tout ça créé une atmosphère de collaboration. Il y a toujours des personnes volontaires parce qu’il est impossible de payer toute la communauté pour qu’ils jouent, fassent les costumes, participent à la production dès qu’une personne a une idée. Par exemple, lors du tournage d’une fiction réalisée par Marcelina Cárdenas, les gens se sont mis d’accord, quand quelque chose ne leur plaisait pas, ils en discutaient, le changeaient ou improvisaient ¨moi je dirais pas ça comme ça mais plutôt comme ça¨.  Il y a des négociations collectives, ça se passe pas trop du type ¨moi j’ai déjà mon scénario, je me fais financer, j’arrive et je filme ». Normalement, les projets sont le fruit d’une formation ou bien ils sont approuvés collectivement et soumis au jugement  de la communauté. Le plus récurrent à propos des vidéos indiennes, est que lorsqu’ils filment ou produisent, ils gardent toujours à l’esprit ce qu’ils vont présenter à la communauté et qu’elle va être la réponse de celle-ci. Ils ont une responsabilité envers la communauté. Il s’agit d’un regard individuel créatif  mais également d’une responsabilité collective. Il faut toujours  avoir en tête qu’elle sera le retour  que donnera la dite communauté sur le travail présenté.

Quel autre pays fait partie de ce circuit ? L’autre jour, tu me parlais de l’Équateur qui pourrait se faire une place dans la production de vidéos…

      Il existe des organisations indiennes gouvernementales dans plusieurs pays. On a créé des bureaux chargés de la communication et ce sont les personnes qui y travaillent qui finissent par être responsable des vidéos dans le pays en question, c’est notamment le cas en Équateur. Et ça n’a rien à voir avec ceux qui veulent faire des vidéos ou pour quoi ils veulent les faire. Ce sont des décisions qui viennent d’en-haut. Malgré cela, malgré cette structure, il y a quand même eu des expériences intéressantes, un peu dispersées mais plus ou moins continuent dans le temps et cela sur une longue durée. Ce qui a manqué en Équateur et en Colombie c’est une bonne structuration venant d’un organisme qui ferait circuler le matériel. Je ne sais pas s’il y a des festivals régulièrement ou s’il existe des archives des vidéos.

      Par exemple, l’ONIC (organisation National Indienne de Colombie) ou ce qui est en train de se monter dans le domaine de la vidéo dans la Vallée del Cauca (CRIC-Conseil Régional Indienne du Cauca) sont deux organisations qui ont fait beaucoup de vidéos mais personne ne sait où elles se trouvent. Nous en avons quelques unes au Musée. Il y a des lieux où la production de vidéo est très difficile et la Colombie en fait partie. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de messages à diffuser ou qu’ils n’ont pas la capacité ou la créativité nécessaire mais il arrive que soudain il n’y ait plus de fonds et qu’apparaissent des situations politiques très complexes. Se déplacer avec une caméra peut devenir alors un réel danger, par exemple, lorsqu’il y a des déplacements de population qui ne sont pas filmés. C’est une situation beaucoup plus compliquée et peu de gens peuvent alors entrer, sortir des communautés et circuler librement. En résumé, c’est un état de guerre.

      En Équateur il y a eu beaucoup de mouvements autonomes dans l’audiovisuel indien mais tous sont encore très liés à la CONAIE (Confédération des Nationalités Indiennes d’Équateur) et à la CODENPE (Conseil des Nationalités et des Peuples d’Équateur) qui sont toutes deux des organisations indiennes gouvernementales. Toutefois, la CONAIE a financé plusieurs vidéos sur les accoucheuses, sur les communautés de Santo Domingo de los Colorados. Toute une série de vidéo a été produite.

Image de la vidéo Sahuari

Ils ont participé aux festivals qui ont eu lieu ?

      En 98, il y a eu un festival en Équateur qui originellement devait seulement être un festival CLACPI mais en plus a été créé le premier festival Abya Yala. Celui-ci a continué indépendamment du CLACPI. C’est un festival équatorien qui a lieu périodiquement sans toutefois beaucoup de continuité. Le manque de continuité est un des gros problèmes auquel nous devons faire face que ce soit dans la production, dans les festivals ou bien dans le maintien des espaces physiques. Le projet TV-TAMIX au Mexique possède de nombreuses cassettes, toute une série de production pour la télévision locale mais ils sont en train de se retrouver littéralement sans maison. Ils doivent déménager mais ils ne savent pas où aller avec toutes leurs cassettes. C’est un problème de sauvegarde du patrimoine, de préservation du travail qui a déjà été réalisé, d’équipements, de facteurs économiques parce que l’audiovisuel est une activité qui nécessite du matériel, d’espace et de plein d’autres choses encore. Parallèlement il existe un type de vidéo plus institutionnel offrant une vision de l’indien qui est accepté et reconnu par l’état.

      Il y a des endroits où les financements sont nombreux et les vidéastes partent de leur pays d’origine pour travailler dans ce domaine et puis il y a d’autres pays où la vidéo indienne n’est pas très présente, pas encore reconnaissable comme au Pérou. Dans n’importe quel endroit, on trouve toujours des gens intéressés à partir du moment où on leur montre la vidéo d’une communauté indienne. Ils sont intéressés et aimeraient avoir des vidéos. Le problème c’est aussi savoir comment accéder à ces vidéos, où elles se trouvent. Et ensuite viennent les langues. Si j’ai une vidéo en Mixtèque est-ce que je dois la sous-titrer en espagnol ? Est-ce que les gens de la communauté, les femmes pourront lire en espagnol ? Tout le monde n’a pas reçu une éducation complète en espagnol. La diffusion est donc également limitée.

Quelle est la situation de la vidéo indienne en Argentine ?

      Il existe des nucléons de documentaristes qui ont fait des vidéos dans les communautés indiennes. Il y a aussi des vidéos Mapuche. À présent, la plupart des vidéos Mapuche dénoncent des situations dans le sud de l’Argentine, très semblables à ce que vivent les Mapuche au Chili. Mais je dirais qu’en Argentine la négation de l’existence des peuples indiens est encore plus forte qu’au Chili. En termes de législation, de traitement réservé aux communautés, de respect de leur souveraineté ou bien d’autodétermination, le Chili et l’Argentine sont lamentables.

(Jorge Prelorán lors du le tournage de Hermógenes Cayos)

Ça signifie qu’il y a une réelle différence avec ce qui se passe dans le reste de l’Amérique Latine ?

      En Bolivie, 60-70% de personnes s’identifient comme indiennes, ils sont donc une force politique importante, l’État doit batailler avec eux. Mais au Brésil, par exemple, bien qu’il existe une délimitation des terres, il y a un racisme très fort et une séparation très grande.  Je dirais qu’un brésilien typique considère exotique un indien de l’Amazonie de la même manière que le ferait un européen. La distance entre eux est impressionnante. Et en Argentine il est courant de dire qu’il n’y a pas d’indiens Ici, je n’englobe pas les personnes qui travaillent dans le domaine de l’anthropologie ou du cinéma. Un réalisateur, Jorge Prelorán, a laissé une trace importante dans les annales cinématographiques des communautés indiennes et cela personne ne peut le nier. Mais il n’existe aucun soutien financier à la vidéo indienne au niveau de l’État.

À propos du Chili, que penses-tu du processus d’autoformation des audiovisualistes indiens ? Pourquoi l’État n’est pas intervenu comme dans d’autres pays ? Pourquoi, à part l’essai de transfert des connaissances de Claudio Mercado, n’a-t-on pas donné des formations? J’aimerais que tu nous parles un peu de ça.

      Chaque processus est différent. Il me semble qu’il existe des antécédents importants comme Juan Downey ou le travail de Caiozzi y Perelman en Caspana. Il y a eu une approche de l’indien faite avec respect. Au Chili, il y a eu ces petits antécédents historiques mais aussi beaucoup de documentaires, c’est une tradition très forte qui a permis de rassembler des informations sur les peuples indiens. La relation est tendue entre le développement d’un mouvement indien et la dictature. Dans l’audiovisuel chilien, il y a plein de facteurs qui sont en lien avec le social et ça me semble être un terrain fertile pour la vidéo indienne. Certains documentaristes ont été sensibilisés par les revendications et  les réalités indiennes. Dans ce sens, les gens se sont familiarisés à ces thèmes. Des vidéos mapuche ont été faites par des personnes de la communauté et par des gens de l’extérieur  qui ont dialogué ensemble. On peut citer des personnes comme José Ancan qui a travaillé avec Maga Meneses pour produire Wichan, fait en format ciné et présenté aux Etats-Unis dans le cadre du festival de ciné et de vidéo du NMAI en 97.

(Image du film A la sombra del sol (1974) réalisé par Caiozzi et Perelman.)

      En fait, ce qui me semble incroyable c’est  qu’après cela, il ne se passe rien. Au Chili, ce qui m’impressionne, c’est la discontinuité. Chacun fait un truc et, une fois le projet terminé tout le monde part de son côté. Il n’y a pas d’équipe solide qui essaye de se projeter dans l’avenir pour faire des choses ensemble. Les seuls qui le font, ce sont des producteurs de chaînes de télévisions qui ont pour axes principaux des programmes du type « Al Sur del Mundo » ou « Tierra Adentro ». Le ton utilisé est monotone et on sait exactement à quoi s’attendre. Selon moi, il y a eu des figures fortes qui ont pris la caméra comme Jeannette Paillán, mais aussi des collectifs de radio comme celui des Trequil qui ont fait des incursions dans le monde de l’audiovisuel et encore des cinéastes comme Maga Meneses qui ont repris des histoires mapuche. En fait, il y a eu différentes initiatives mais qui ne se  concrétisent pas par des projets. Jeannette a choisi de faire un centre de communication, de produire périodiquement quelque chose. D’une manière ou d’une autre, elle engendre une réflexion sur le traitement infligé aux Mapuches et, de temps en temps, elle le fait paraître mais c’est presque la seule qui a eu une certaine continuité. Sofia Painequeo a fait une fiction sur un mythe de la création. Dans le nord, il y a le projet Lickanantay avec Claudio Mercado qui a réussi à trouver des fonds pour aller donner des formations dans l’audiovisuel mais il n’y a pas eu vraiment de continuité. En plus, c’est extrêmement difficile de s’organiser entre eux parce qu’il n’y a pas de bus qui relient les communautés de l’Atacama. Ils allaient centraliser les équipes dans la ville de Calama, mais, en fait, ce n’est le lieu de résidence d’aucun d’entre eux donc ils auraient du tous se déplacer. Il y a plein de difficultés tant logistiques que pour mener les projets à bien. Peut-être qu’il aurait fallu une agence vidéo à San Pedro de Atacama, un centre de cinéma Indien San Pedro de Atacama ou quelque chose dans le genre pour que ce mouvement ait une continuité. Et les vidéos de ce projet, de cette expérience ne circulent pas. Il y a un problème incroyable de circulation au Chili. Des festivals de ciné comme celui de Viña del Mar ne possède même pas de programmations indiennes. C’est surréaliste de penser comme ça. Pourquoi ne pas faire une programmation de vidéos indiennes alors que cela existe  dans d’autres festivals d’Amérique Latine, des festivals des droits de l’Homme, des festivals régionaux. Ça me semble intéressant que des travaux comme celui de  A la Sombra del Sol  marche bien et soit présenté dans des petits événements, dans certaines régions. Je ne sais pas quelle est l’assistance, combien de personnes viennent. Il n’y pas de rapport fait à ce sujet, aucun suivi. Et un des problèmes que l’on rencontre en général dans la vidéo indienne, et notamment au Chili, c’est qu’il n’y a ni critiques spécialisés ni visibilité du travail. Un festival passe et ensuite… plus rien. C’est pour cela que des groupes comme le CLACPI tentent de développer des dynamiques régionales, locales, nationales, de les coordonner avec d’autres forces. Ils essayent de générer des travaux ou des tournées pour présenter ces vidéos d’un endroit à un autre et ainsi de donner lieu à des discussions sur la vidéo.

C’est pour ça qu’a eu lieu le festival l’année dernière ? Comme une sorte de stratégie qui mènerait à une négociation ?

      Les festivals essayent toujours de renforcer les organisations locales. Le CLACPI a des objectifs plutôt ambitieux qui sont composées de diverses activités: atelier de formation, présentation dans les communautés, développement de festival, travail sur la mémoire, rencontre de réalisateurs, réunion continental du CLACPI. On fait beaucoup de choses pendant un festival. Il faut également prendre en compte que les réalisateurs que nous rassemblons ne viennent pas seulement avec leur vidéo, ils emmènent avec eux les préoccupations de leur communauté. Ils ont envie de ramener quelque chose à la communauté. Ce sont des lieux de discussions très riches. Il y a beaucoup de déséquilibre entre les différentes régions d’Amérique Latine. D’un côté, on trouve des pays comme le Mexique avec des centaines de productions et de l’autre, le Pérou où il n’y en a presque pas.

      En 99, au Guatemala, a été voté le lieu du prochain festival et compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait les médias, de ce qu’était en train de vivre le peuple mapuche, mais, au final, il a été décidé de le faire au Chili comme l’avait proposé Jeannette (et son équipe). Le festival aurait du avoir lieu en 2003, mais c’est extrêmement difficile de faire comprendre à quelqu’un ce qu’est un festival CLACPI car ce n’est pas seulement une présentation de vidéo, ça demande beaucoup de travail. Le faire dans une autre langue, demander des fonds dans d’autres langues, des fonds européens et batailler pour unifier les groupes indiens de ce pays, car ils ne sont pas d’accord, par exemple, au sujet des personnes à qui peut-on demander de l’argent. Jeannette a travaillé avec des groupes qui refusaient totalement recevoir de l’argent de l’État mais aussi avec des communautés dont certains membres travaillaient pour le gouvernement. Il faut concilier des groupes qui ont des réalités différentes ; certaines urbaines, d’autres rurales.

Est-ce qu’il existe une organisation qui est liée aux peuples originaires du Chili et qui dépend de l’État ? Au sein de de la CONADI (Corporation National de Développement Indien) il n’existe aucun groupe, aucun organisme social qui essaye de former des audiovisualistes indiens ?

      Il y a eu une initiative, le Bureau des Cultures Originaires de la Commission National de la Culture qui par la suite est passé sous le Secrétariat du Ministère de l’Éducation. Bruno Serrano en était responsable et, à cette époque, deux autres personnes travaillaient avec lui. À présent, le Bureau se trouve à Valparaíso. Du département du Bureau des Cultures Originaires, il ne reste plus que Bruno mais il n’est pas audiovisualiste et ne donne aucune formation audiovisuelle. Il a réussi  à se faire financer par l’État pour aller filmer quelques petites capsules sur les peuples du Chili : les descendants d’africains, les cultures indiennes, les différentes situations. Mais ce n’a pas été un projet de vidéo indienne.

Ils ont participé au festival ? Ils ont présenté un de leurs travaux ?

      Ils ont montré ces capsules parce que c’est le peu de chose qui a été fait au Chili. Mais, que je sache, ni la CONADI, ni aucun autre organisme ne possède de département d’audiovisuel. Un des problèmes que rencontrent les vidéastes chiliens, à mon avis, est qu’il n’y a jamais eu de politique de développement de l’audiovisuel que ce soit de la part de l’État ou des organisations indiennes. Alors qu’en Bolivie, les organisations indiennes ont délégué une personne pour qu’elle soit responsable de l’audiovisuel. Ça fonctionne déjà, ils ont donc introduit une composante audiovisuelle. Ici  cette démarche n’a pas été faite… Bien qu’il existe des luttes judiciaires et territoriales, l’audiovisuel n’a pas été utilisé par ses organisations comme outil, comme outil de lutte et de plus grande documentation sur ses sujets.

Qu’est-ce que tu retires du festival CLACPI réalisé au Chili ?

      L’expérience du festival CLACPI, au Chili, en juin 2004, a été intéressante parce qu’elle a permis de voir une variété de stratégie pour réaliser une vidéo indienne, pour quoi et qui le fait. Et le niveau de discussion qu`il y a eu lors de ce festival me paraît plutôt bon.

Quelles sont les autres personnes que tu connais, des indiens au Chili, qui réalisent ou ont réalisé des vidéos ?

      Jeanette Paillán qui a travaillé avec un groupe de personnes, Lulul Mawidha, Fernando Ansa, dans le Nord, qui vient de gagner une bourse du FONDART (Fond de Développement des Arts). Il y a Lickanantay, mais il vit à Arica et fait partie de l’Association des étudiants des Peuples Originaires. D’ailleurs, ils viennent de gagner aussi une bourse du FONDART pour faire des formations, acheter du matériel et faire une présentation de vidéo indienne dans le nord.

C’est récent ?

      Depuis l’année dernière. Dans le Musée San Pedro de Atacama, ils ont fait une présentation de vidéos indiennes et ils ont envie de mettre en place une sorte de vidéothèque à laquelle les communautés auraient accès. Dans le sud, je crois avoir compris que  le Proyecto Origenes va également inclure de l’audiovisuel dans sa biennale. Ils vont faire une biennale d’art indien cette année. Il existe des foyers régionaux au Chili mais il n’y a ni plan ni consensus national. C’est peut-être une discussion en suspens parce que le festival que nous avons fait était international et qu’au final le festival national qui avait été prévu n’a jamais eu lieu. Je crois que durant ce festival se sont réunis pour la première fois tous ceux qui travaillaient dans l’audiovisuel. Il n’y a pas eu tant de vidéastes, de documentaristes et de professeurs d’anthropologie, il y en a eu très peu durant le festival.

Tu ne penses pas qu’il y a peu de groupes indiens qui font de la vidéo ?

      Je crois que beaucoup de personnes ont collaborées et ont rendu possible le peu de productions existantes. Je ne dirais pas qu’ils sont peu mais plutôt qu’ils ne sont toujours pas organisés. Ils manquent d’équipement, d’infrastructures, d’organisation et parfois même d’un simple lieu.

Ça c’était ton évaluation au sujet de la vidéo indienne au Chili mais qu’en est-il d’un point de vue général ?

      Je dirais que la vidéo indienne est en train de vivre un de ses meilleurs moments. Il y a de plus en plus de gens qui nous appellent pour nous demander plus de vidéos. On nous a appelés de festivals en Suisse, qui ne sont pas des festivals indiens mais internationaux, également d’Amérique Latine comme le festival de Ciné de Morelia (Mexique) ou le festival Sundance (USA).

      Négocier avec le premier monde, c’est quelque chose qui nécessite du temps, une certaine maîtrise des langues mais aussi de s’adapter culturellement et d’avoir accès au matériel. En gros, il y a encore plein d’obstacles mais l’intérêt du monde audiovisuel de posséder et de programmer des vidéos indiennes lors de présentations est de plus en plus grand. Dans les festivals, nous faisons des tables rondes. Nous essayons, par exemple, que soient présentées dans les festivals d’Amérique Latine les vidéos « migrantes », c’est-à-dire celle des communautés mexicaines ayant migré aux Etats-Unis et qui sont également produites là-bas.

      Les universités ont semblé intéresser à acquérir ces vidéos et certains festivals aimeraient les montrer. Une rétrospective du ciné indien est en train d’avoir lieu parce qu’en Amérique Latine il n’y a pas beaucoup de ciné indien, il y a plus de vidéos. Les vidéos sont montrées dans le cadre de  rencontres, par exemple celle de l’OEA et dans d’autres endroits où l’on dénonce la coupe illégale de bois, l’intervention des compagnies pétrolières en Amazonie. La sphère des droits de l’homme est de plus en plus perméable au travail audiovisuel et le fait qu’il soit réalisé directement par les gens de la communauté lui donne plus de force.

Afin de dénoncer ? Ou pour quelles raisons ? Ces vidéos ont une certaine spécificité ou ils les utilisent à d’autres fins, pour d’autres motivations ?

      Je pense qu'au-delà des motivations, c’est l’accès aujourd’hui qui est une limitation. Ceux qui utilisent la vidéo, ce sont ceux qui y ont eu accès. Peut-être que s’il existait un accès plus grand, on pourrait voir une énorme diversité de travaux. Mais, il existe des organisations comme Witness qui se charge de faire parvenir des caméras dans les lieux où les droits de l’homme sont violés pour que les gens puissent les utiliser. Mais, ils gardent toutes les images. Les caméras sont prêtées dans un but défini, les gens ne peuvent pas imaginer des scénarios ou produire d’autres choses. Donc ça aussi, c’est une initiative de l’extérieur.

Mais ce qui est fait depuis l’intérieur ?

      Ce qui est fait de l’intérieur dépend beaucoup de comment arrive le matériel, qui en est responsable, pour quoi on l’utilise et comment cela est financé.

Mais vis-à-vis du matériel auquel tu as eu accès, que penses-tu aujourd’hui de la vidéo indienne, de ce qu’elle essaye de montrer ?

      Je dirai que les deux tiers de ce qui arrivent au Musée en provenance d’Amérique Latine, ce sont des documentaires. Il y a très peu de fiction, mais il existe un réel intérêt pour développer ce genre. La fiction a été bien acceptée dans les communautés. Il existe également des messages vidéo. Mais je crois que ce sont les vidéos de dénonciation qui trouve une plus grande légitimité aux yeux de la communauté et cela très rapidement, mais cette idée de vitesse vient aussi du Nord. C’est pour cela que je  dis que ça dépend de qui et de comment ça arrive. Beaucoup de gens veulent une caméra pour dénoncer des violations des Droits de l’homme et s’ils avaient les cassettes pour, ils filmeraient également les cérémonies et les assemblées. J’ai vu des messages vidéo qui sont envoyés par les communautés à des membres de leur famille aux Etats-Unis. Sur une même cassette peut venir la fête des morts dans un cimetière, une femme en train de faire des tortillas lors de la réunion de l’assemblée qui va élire un nouveau maire et l’anniversaire d’une nièce. Et ça c’est un message vidéo qui n’a pas été édité, qu’on envoie d’un endroit à un autre mais qui va beaucoup circuler dans la communauté des migrants.  Il va presque être utilisé comme un programme de télévision, il va être vu 10 fois de suite dans la même semaine. On va inviter de la famille et on va le voir 6 fois. Donc, il existe des vidéos indiennes qui circulent mais cela hors du circuit des télévisions et des festivals. Il y a une pratique de la vidéo indienne. J’affirme qu’il y a une pratique de la vidéo indienne ce qu’il manque c’est un ajustement à un format spécifique qui cadre avec les canaux dans lesquels la vidéo circule dans d’autres pays, dans les festivals, à la télévision, dans les écoles, dans les vidéothèques. Mais il y a des gens qui font de la vidéo et qui ont des choses à dire. Des messages créatifs, personnels, des contes traditionnels, des contes en langue d’origine, il existe une grande diversité et encore bien d’autres formats à venir. Mais ce qui reçoit le plus de financement, c’est tout ce qui touche aux Droits de l’Homme car c’est ce qu’il y a de plus facile à faire approuver par une assemblée. Tout ce qui concerne les Droits de l’Homme, la préservation des rites, de la langue, des pratiques va servir à la communauté. Ce sont là trois grands domaines de la pensée communautaire. Comme la vidéo du Plan de Vida Nasa qui a été faite en Colombie dans la Valle del Cauca avant le plan Colombia. Le plan Colombia est un plan mis en place par les Etats-Unis pour éliminer la coca et garder le contrôle sur une situation qui est hors contrôle là-bas en Colombie. Mais les indiens ont leur propre plan qu’ils appellent Plan de Vida. En fait, c’est traduire dans le langage audiovisuel leurs propositions, amplifier leur voix qui se perd au milieu de tout cela. La vidéo devient un porte-voix.

Parmi les vidéos qui parviennent au festival, comme celui qui a eut lieu ici au Chili, quel est le type de vidéo le plus courant ?

      Pour le festival CLACPI, ce sont principalement des documentaires et surtout des documentaires critiquant les violations des Droits de l’Homme. C’est ce qui arrive le plus mais il y a beaucoup d’autres choses. Par exemple, Dia 2 de Dante Cerano présente le lendemain d’un mariage. Il y a des messages vidéo qui ont gagné des prix partout dans le monde mais majoritairement on trouve des documentaires de dénonciation. Au Chili, c’est ce qui se fait le plus. Il n’y a pas eu de développement de la fiction de la part des vidéastes indiens. Jeannette l’a bien souligné lorsqu’elle a pris la parole pendant le festival. Elle a de bonnes raisons pour faire de la vidéo de dénonciation, mais ça fait 10 ans qu’elle fait ça. Elle aimerait pouvoir laisser cela à d’autres et faire un film, une fiction ou étudier le ciné parce que l’audiovisuel est, pour elle, son moyen d’expression. Donc les gens s’enferment aussi dans des formats de dénonciation, d’urgence et quand ils maîtrisent ce langage, ils aimeraient expérimenter d’autres formats, d’autres genres. À ce sens, Dante Cerano me paraît un cas très intéressant car il fait des fictions et il a déjà fait des documentaires. Il travaille beaucoup avec la musique, les jeunes. Il a filmé le conflit des jeunes p’urhepechas. Lui, il est p’urhepecha de l’état de Michoacan au Mexique. Il a fait son bonhomme de chemin de manière autonome. Il a créé sa propre organisation Exe Video. Même si ce n’est pas un responsable audiovisuel envoyé par l’organisation paysanne de sa région, il a été reconnu par sa communauté, pour ce qu’il lui apportait et ça, ça s’est également passé dans d’autres endroits. Par exemple, Sergio Julián, un mixtèque de l’état de Oaxaca, Mexique, travaille dans la vidéo depuis 10 ans et il a toujours du se battre pour introduire dans sa communauté la vidéo. Finalement, il a été reconnu comme vidéaste officiel de sa communauté, cela devient sa « charge ». Une charge comme celle de secrétaire, celle de délégué aux assemblées des autres communautés, celle de responsable de l’éducation ou celle des champs de maïs. Lui, il est reconnu comme le vidéaste, celui qui a cette responsabilité spécifique, un rôle défini dans la communauté. Cela a été une grande réussite pour les vidéastes indiens. Ça n’intéresse personne dans les festivals de ciné, mais cela va être primordial pour la survie  de la vidéo dans les communautés et, pour moi, c’est une grande réussite lorsqu’une communauté nomme ses propres vidéastes et les reconnaît.

Est-ce que tu vois des différences ou des caractéristiques propre aux réalisateurs indiens en comparaison avec ce que pourraient faire des anthropologues ou des vidéastes ?

      Oui, mais dit comme ça c’est très vaste. Moi, je dirai qu’il s’agit d’un regard collectif, d’une pensée collective. Ils pensent toujours en fonction de leur public et, dans ce cas, leur public est présent. C’est avec eux qu’ils filment, qu’ils travaillent. C’est pour cela que c’est un regard collectif. Ils mettent de côté et parfois même sacrifient leur autorité et leur liberté de création afin que le  message soit collectif, mieux reçu et  émis d’une manière qui ne soit pas forcément personnelle. Ils deviennent le traducteur d’une pensée collective, l’usage du pluriel, utiliser le « nous » et non pas le « je ».

      La relation aux paysages, des prises longues d’un certain paysage, une perception du temps parfois peuvent être spécifiques aux vidéos indiennes…On ne peut pas dire que ce soit toujours comme ça mais pendant les conversations après les présentations, on demande « comment tu as fait cette vidéo ? », « tu pensais à quoi »… et au final l’idée qui est donnée n’est presque jamais défini en termes personnels. Souvent, dans les festivals de ciné ou d’art expérimental, on entend des «  moi, j’ai eu cette idée et j’ai fait ça » alors qu’ici c’est plus des « on a voulu dire ça » ou « ça nous parait important » ou bien  « il nous arrive ça ». Moi je le vois comme une pensée collective traduite dans l’audiovisuel.

      Mais c’est toujours grâce à une conversation, a posteriori sur la vidéo que tu viens de voir que tu peux comprendre cela. C’est difficile de s’en  rendre compte seulement en voyant les images…

      En fait, plus que les images, ce sont les entretiens ou les narrations qui donnent des informations. Il n’y a pratiquement jamais de narration personnelle.  Il est rare qu’une personne raconte ce qu’il est en train de se passer. Dante, lui, l’utilise dans Día 2 mais il s’entretient avec beaucoup de personnes, il parle avec eux, il est en public, au cœur d’un mariage, on l’invite à danser.  La personne qui filme est à l’intérieur, circule librement et discute avec tout le monde. Il y des vidéos dans lesquelles on le perçoit plus et d’autres moins.

Est-ce qu’on note une sorte d’évolution et de développement  dans les vidéos réalisées par les indiens ? Comment cela pourrait s’exprimer ?

      Un changement important est l’accès au format DV qui permet d’emmener les caméras plus loin et plus longtemps. Quand les caméras étaient gigantesques, il fallait une grande quantité de batteries et d’équipements. L’édition devait être faite dans un lieu précis.  C’était plus rare, plus difficile à faire. Il y a beaucoup de jeunes qui s’occupent de vidéo indienne dans toute l’Amérique et particulièrement aux Etats-Unis et au Canada parce que les jeunes, depuis tout petits, savent utiliser très bien les ordinateurs. Alors qu’avant pour que quelqu’un puisse éditer sa propre vidéo sur un système non linéaire, il fallait lui apprendre à utiliser un ordinateur, le mail, tout ce qui permet d’entrer dans le monde du  digital. Mais maintenant les jeunes sont tellement branchés sur Internet, ils ont des appareils photos numériques et sont habitués à la technologie donc cette partie est beaucoup plus simple pour eux. Les femmes participent plus, mais, à mon avis, il y a toujours une décompensation de la participation des femmes. Je crois qu’elles participent mais qu’elles ne sont pas reconnues. Ce sont souvent des productrices  qui appellent à filmer dans une communauté, mais ce ne sont pas toujours elles qui assistent au festival car s’absenter de leur travail à la maison ou dans la communauté est plus difficile. Elles sont responsables d’autres choses et leurs responsabilités ne sont pas publiques, c’est pour cela qu’elles et leurs productions sont moins visibles. Mais María Santiago, une zapotèque de l’état de Oaxaca, disait que la caméra était très lourde. C’était une des seules femmes qui portaient la caméra et il y avait un réel problème de poids et d’effort physique dans l’action de filmer. Grâce à ce changement de format, les caméras numériques sont plus petites et portatives. Leur présence est moins gênante. Elles ne sont pas aussi imposantes. Tu peux continuer à interagir avec quelqu’un que tu es en train d’interviewer en utilisant le viseur d’en bas. Il y a plein de choses qui sont devenues plus faciles. Les gens sont moins  méfiants envers ce média. C’est une avancée qui commence à se ressentir dans les travaux, des techniques plus expérimentales sont utilisées. Il y a eu un réel effort, par exemple au Mexique, pour donner accès aux personnes à des formations auxquelles des étudiants de ciné assistaient et pas seulement  d’autres indiens. Il y a également un dialogue au sujet du langage et plus d’expérimentation au niveau des formats. Je pense qu’il y a eu un vrai progrès, une diversification de la vidéo.

On a beaucoup parlé de la production des vidéos indiennes et on a également abordé le sujet de leur  circulation ? Quels sont les mécanismes de distribution des vidéos ?

      La circulation est un thème des plus délicats parce que si les vidéos sont faites pour être vues, il faut savoir par qui et comment. Le caractère collectif des vidéos signifie que  les gens ont travaillé gratuitement pour la production de ces vidéos. Il y a des endroits comme la Bolivie où un grand nombre de vidéos ont été produites, mais il n’existe pas de point de vente. Il n’y a pas de réseau de distribution  que ce soit au niveau local ou international. Il y a quelques projets qui ont plus de succès au niveau du plan de distribution comme Chiapas Media project.  Ils ont un bureau à Chicago et là-bas toutes les vidéos, ou pour le moins la majorité, sont traduites en anglais. Ils ont une page Internet sur laquelle  tu peux acheter les vidéos par carte de crédit  et ils te les envoient chez toi. Ils organisent des présentations de vidéos dans les universités. Chaque fois qu’il y a une présentation, ils arrivent à vendre. Ils ont réussi à ce que la vidéo soit une source de revenu et faire des copies et des vidéos ne soient plus un pur investissement à perte. Tout a un prix : faire des copies, sous-titrer, envoyer des vidéos à des festivals  car certains font payer une inscription seulement pour postuler. Il faut prendre le temps de faire les dossiers, d’inclure des photos pour présenter la vidéo. Parfois, ils demandent des documents additionnels, par exemple, des dossiers de presse. Il y a beaucoup de festivals qui aimeraient programmer des vidéos indiennes mais qui ne pensent pas à faire un formulaire d’inscription dans une autre langue que celle utilisée pendant le festival, à savoir le français,le hollandais, l’anglais… En résumé, il y a beaucoup d’obstacles à la circulation des vidéos. Les vidéos se concrétisent, sont éditées, existent et, en général, on choisira de les faire circuler de main à main, par troc ou par échange. C’est compliqué de penser  qui doit recevoir de l’argent si nous travaillons tous gratuitement. Qui doit recevoir de l’argent ? Est-ce qu’il faut le reverser à un fond pour d’autres jeunes vidéaste ou bien le redistribuer à ceux qui ont effectué ce travail ? C’est un thème compliqué le maniement de l’argent et, d’une certaine manière, la transformation de la vidéo en produit de consommation l’est aussi puisque l’idée dérange beaucoup de personnes. De la même manière que les images, les photographies des indiens circulent sous forme de cartes postales. Certains pensent que cela permet de contrecarrer les images qui sont déjà en circulation et d’autres qu’elles devraient appartenir aux peuples et ne devraient être ni achetées ni vendues. Donc il n’y a toujours pas de consensus. La seule chose  existante au jour d’aujourd’hui c’est le souhait que la circulation se fasse de main en main afin de pouvoir contrôler la distribution et la circulation, savoir qui va la montrer, où, s’ils vont gagner de l’argent avec cela ou pas. Je crois que cela a à voir avec les expériences passées des communautés lorsqu’un réalisateur venait filmer et en vendant des copies il devenait riche. Vivre de cela est un mythe et bien que de grandes sommes ne soient pas générées, ces projets créent du prestige et des participations à différents festivals. C’est comme ça que tu vois les vrais bénéfices, ça et comment tu les distribues. Par exemple, dans les festivals, on demande souvent qui est le réalisateur et on a du répondre plusieurs fois « c’est une création collective, il n’y a pas de réalisateurs, c’est l’association qui a réalisé ce travail » mais cela pour certains festivals c’est inacceptable. Ça ne leur rentre pas dans le crâne.

      Certaines bourses ne peuvent être attribuées que personnellement. Dernièrement, il y a eu le cas d’une bourse attribuée à une organisation mexicaine. Elle ne pouvait être remise qu’à un individu. Cela a crée énormément de problèmes au sein de la communauté parce que jusqu’à cette date l’argent avait été utilisé pour tout le projet. Mais, pour cette bourse, il fallait un prénom et un nom. Une personne a du ouvrir un compte bancaire, chose qu’elle n’avait jamais faite auparavant, pour pouvoir recevoir l’argent. Tout cela crée des problèmes. Le prestige, le prénom, le nom, personnaliser quelque chose qui est, en fait, la création d’un groupe de personnes qui ont toutes travaillé ensemble. Et c’est à cela que se heurte la distribution. Il existe aux Etats-Unis des maisons de distribution du type LAVA ( Latin american video Archive) et la Videoteca del Sur qui aimeraient devenir les distributeurs de la vidéo indienne, mais ils ne font aucun travail de mise en contexte culturelle pour que ses œuvres soient bien comprises par les personnes  qui pourraient être amenées à les faire circuler, les présenter ou les acheter. Ils ne vont pas aux festivals, ni aux rencontres de vidéothécaires latino-américains ni aux festivals de cinéma des Droits de l’Homme. En d’autres termes, ce sont des maisons de distributions passives qui font des présentations, se rendent à quelques festivals et possèdent un siège officiel. Ils font payer parfois des pris institutionnels s’élevant jusqu’à 200 $.  Les personnes qui font les vidéos aimeraient que ceux qui se trouvent aux Etats-Unis ou au Canada, des indiens, des membres d’organisations sociales, syndicales puissent acheter les vidéos pour les présenter lorsqu’ils organisent des événements. Mais les 200 $ qui sont demandés leur paraît exagéré surtout lorsque seulement 20 $ leur reviennent à eux. Dans ce problème de distribution de vidéo indienne, aucune solution satisfaisant tout le monde n’a été trouvé.

Et la création d’un dossier regroupant tout ce matériel, évidemment qu’on aimerait parler d’un réseau latino-américain mais…

      Les gens sont enthousiastes à l’idée de pouvoir digitaliser le matériel existant et ainsi pouvoir tout enregistrer sur un disque dur qui prendra beaucoup moins de place. Le problème deviendra alors celui du contrôle. La technologie permettant ce type d’enregistrement se trouve en Europe ou aux Etats-Unis alors le jour où un vidéaste voudra sortir la copie d’une vidéo pour la montrer à sa communauté juste  pour un week-end, il devra demander l’autorisation à quelqu’un. Quelles seront les démarches à effectuer pour obtenir une copie de sa propre vidéo ? C’est un problème. Le fait de centraliser les vidéos dans les villes alors que les gens vivent dans des lieux reculés l’est aussi. Il y a également un problème lié à la conservation dans des lieux trop secs ou trop humides. À vrai dire les gens ne savent pas trop comment prendre soin de ce matériel et avec les différents formats… Il faut imaginer dans quel état doivent être les cassettes Super VHS d’il y a 10 ans! En Bolivie, ils continuent à faire leur master en U-matic car c’est le seul équipement dont ils disposent. Investir pour changer tout l’équipement serait une dépense colossale et pour l’instant tout continue à fonctionner. Il existe donc une grande diversité de formats et avec les différentes zones des DVD parfois quand il faut en envoyer un à un festival, on se rend compte qu’il ne sera peut-être pas lisible. Il y a toujours énormément de problème logistiques.
Dernière mise à jour : ( 26-09-2008 )
 
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