PROMEDIOS par Pierre-Jean Cournet |
22-11-2007 | |
Dans le très beau film d’Ademir Kenovic, Le cercle parfait on voit un groupe d’habitants de Sarajevo, en plein siège, morts de faim, passer un moment de franche rigolade devant la ruée vers l’or de Chaplin, au moment où celui-ci mange ses chaussures. J’ai sursauté en voyant cette scène car il se trouve que je l’ai vécue telle quelle. A ce détail près que ce n’était pas en Bosnie mais au Chiapas, dans un village tojolabal du municipe (1) autonome zapatiste San Pedro Michoacán, en 1997.
Lors de l’offensive militaire du 9 février 1995, les soldats s’étaient chargés de ravager les récoltes et d’exterminer les volailles. Revenus dans les fourgons de l’armée, les éleveurs avaient pillé tout le bétail récupéré par les communautés ayant occupé leurs fincas (2) en 1994, réalisant ainsi une juteuse opération car l’état les avait déjà largement indemnisés. C’est dans cette période qu’une amie mexicaine qui passait par là m’a parlé du projet de Promedios qui commençait à peine et auquel elle était mêlée. Il s’agissait de former des indigènes de ces mêmes communautés en résistance à la vidéo pour qu’ils puissent produire leurs propres films en leur laissant le matériel en main petit à petit. J’avoue que ma première réaction a été plutôt stupide : c’était la bouffe et les médicaments qui manquaient, pas des caméras et des bancs de montage qui me faisaient (encore) penser à une idée supplémentaire d’une ONG essayant de se faire bien voir de la commandance zapatiste. Grossière erreur d’appréciation... Idem pour les quelques sorties zapatistes a l’extérieur : la « consulta » de 1998 et ses cinq mille délégué(e)s ou l’envoi d’un groupe à Mexico autour du premier mai 1999. Bien que ce ne fut pas directement Promedios qui couvrit ces événements, la vidéo servit tant à donner une idée aux “compas” (camarades) resté(e)s sur place de leur déroulement qu’à divers commentaires plus ou moins moqueurs lors de projections internes dans les villages (« pourquoi tu l’as dit comme ça et pas plutôt comme ça ? », « j’aurais aimé t’y voir, toi, sur cette place et devant tous ces micros ! ») une chose que n’imaginaient peut-être pas autant les membres de Promedios, c’est à quel point la vidéo allait aussi servir d’une manière plus prosaïque à la lutte. En effet, pour la région que je connais, c’est en 1999 que se sont accentués les essais de constructions de routes comme autant d’axes stratégiques devant pénétrer dans la selva (forêt) et autant de prétextes à querelles entre communautés en résistance et celles acceptant l’aide officielle. Evidemment, autant de tentatives de pénétrations, autant de blocages en retour, de séquestrations d’ingénieurs, de chocs plus ou moins bien évités entre paysans, de confrontations a l’armée, à la police et aux machines des ouvriers qui se demandaient ce qu’ils faisaient dans cette galère. Et tout ceci fut filmé ! Pour plusieurs raisons : celle de prendre les devants en cas d’événements dramatiques, de faire circuler l’information mais avant tout de pouvoir visionner, commenter, critiquer en interne les actions, leur déroulement ainsi que les paroles échangées. Le tout suivi d’une projection publique pour ceux et celles n’ayant pu être présents. Imaginez la frustration du public lorsque le film s’interrompait par épuisement des batteries de caméras ! Une infime partie de ce matériel peut se retrouver dans certains films “officiellement” produits. |
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Dernière mise à jour : ( 22-11-2007 ) |