Audiovisuel et politique, un couple révolutionnaire ?
Écrit par Administrator   
27-10-2008

AUDIOVISUEL ET POLITIQUE, UN COUPLE RÉVOLUTIONNAIRE ?


L’Amérique latine regorge d’expériences de communication populaire autonome. C’est donc tout naturellement que les zapatistes du Chiapas ont commencé un processus d’autogestion de la communication, notamment audiovisuelle, aidé en cela par l’association Promedios.

Créer une organisation sociale distincte de celle qu’impose l’État n’est pas une mince affaire. Ce que l’EZLN a mis en place dans le sud-est mexicain depuis 1994, une société civile autonome où solidarité, justice et dignité ne sont pas des vains mots, nécessite des appuis et soutiens extérieurs : l’éducation, la santé ou la communication bénéficient d’apports de la société internationale.

C’est pour ce faire qu’a été créé Promedios (Chiapas Media Project) en 1998 aux États-Unis puis en 2002 au Mexique. Plus exactement, « les communautés indigènes ressentaient le besoin de communiquer mais manquaient de moyens matériel et technique », raconte Paco, un des fondateurs. Le but du jeu est de former des « promoteurs de communication », c’est-à-dire des gens vivant dans la communauté dont la tâche est de relater et de faire circuler l’info dans la communauté, entre les communautés où vers la société civile internationale. Le média le plus utilisé est l’audiovisuel ; la radio est pour l’instant quasiment « monopolisée » par celle de l’EZLN, Radio Insurgente ; le journalisme écrit et mural commence à se développer.

 

 

« Le Projet Médias (PROMEDIOS) nourrit des processus qui, à travers la vidéo et l’informatique, renforcent les indigènes dans la création de leurs propres médias populaires. »

L’association, basée à San Cristóbal de Las Casas, comporte quatre permanents salariés et des bénévoles, souvent internationaux, investis plus ou moins longtemps (de quelques semaines à quelques années), sur des projets plus ou moins spécifiques. Certains partent faire de la formation dans les communautés, depuis la manipulation d’une caméra vidéo jusqu’au fonctionnement du logiciel de montage, et organisent depuis peu des ateliers de manipulation de Photoshop ou de journalisme mural ; d’autres, tel Promedios France, diffusent ici les films réalisés là-bas.

À Roberto Barrios, un des cinq caracol (siège des conseils de bon gouvernement, l’entité autonome et autogestionnaire de la société zapatiste), dans le centre de communication, une affiche manuscrite explique les différences entre la communication commerciale et du gouvernement et celle communautaire des zapatistes. Le premier schéma montre une pyramide en haut de laquelle est l’émetteur et à la base de laquelle est le récepteur ; le second schéma est un cercle sans fin où l’émetteur et le récepteur sont liés par des flèches renvoyant de l’un à l’autre et ainsi de suite. Être tour à tour émetteur et récepteur, être soi-même un moyen de communication, ne pas déléguer cette tâche à des prestataires de services, ne pas attendre qu’autrui le fasse à sa place… Ainsi depuis 1998 Promedios forme des promoteurs de communication et leur fournit du matériel pour qu’ils développent leur communication de manière autonome : l’association a pour but de disparaître quand les zapatistes sauront maîtriser suffisamment ces outils-là. Le conseil de bon gouvernement de la Garrucha en a bien conscience :« C’est un travail qui commence tout juste car il faudra bien continuer le jour où Promedios ne sera plus là, d’où l’idée de créer des centres de communications dans toutes les communautés pour que plus de gens apprennent. »  De fait peut devenir promoteur de communication qui le souhaite, sur la base du volontariat et après un processus d’élections propre à chaque communauté.


Paysan, vidéaste et zapatiste


Mais certains problèmes rencontrés rendent la tâche ardue. Parmi eux le fait que le travail du promoteur de communication n’est pas pris en charge par la communauté : il le fait en plus de son travail au champ, pour nourrir sa famille. De fait sur chaque génération de promoteurs formés à la vidéo, peu sont ceux qui travaillent encore la communication autogérée. Moises, formé en 1998 avec une vingtaine de camarades, est le dernier à exercer à Roberto Barrios. « Le premier problème c’est qu’on est paysans. Quand on commence on nous dit « mais qu’est ce que tu fais ?» parce que ça paraît pas important – il faut prendre une décision : qu’est-ce qui vaut le plus le coup ? il faut ce rendre compte que ce travail fait vraiment partie de la lutte ».

Le film La terre est à ceux qui la travaillent, en une séquence mémorable, montre bien comment la présence d’une caméra dans les mains de simples paysans zapatistes suffit à désarmer et dérouter des pontes du gouvernement venus avec leur morale et leur réthorique tenter de rendre des terres réquisitionnées à leur « propriétaire ». La caméra est une arme, c’est un fait. « En tant que paysan si tu ramasse pas ta milpa (champ de maïs XXX) à temps, c’est perdu, mais le problème aussi c’est que si tu n'es pas dans les autres communautés à enregistrer des images, comment les témoignages vont circuler s’il y a une attaque de l’ennemi ? Souvent les camarades viennent t’aider un jour ou deux mais y a des problèmes qu’on a du mal à résoudre, ceux relatifs aux voyages, acheter du matériel, parce que dans les communautés indigènes on n’a pas de ressources économiques, et on a recours à Promedios ». Dans cet ordre là, un autre problème se pose aux paysans zapatistes : pour pouvoir faire de la vidéo il faut souvent manier l’anglais… Eux, en plus de leur langue naturelle (ch'ol, tzeltal, tzotzil, tojolabal…) utilisent aussi l’espagnol, et la maîtrise de l’anglais est bien souvent une barrière. Un autre problème plus grave est la situation de tension croissante que font régner les paramilitaires et priistes de l’OPDDIC (organisation pour la défense des droits des indigènes et paysans) : par exemple, le coordinateur de communication de la Garrucha, un autre Moises, s’est récemment fait casser la gueule et piquer son matériel alors qu’il prenait des images sur une manif de l’OPDDIC. Cette stratégie du gouvernement actuel (PAN, droite décomplexée et extrémisante) est plus fourbe que celle du gouvernement d’avant (PRI, 70 ans de monopole et de corruption) qui remplace les barrages militaires par une guerre entre indigènes, même si tout le monde sait par exemple que l’OPDDIC accueille notamment des dirigeants de Paz y Justicia, ex-groupe paramilitaire.

Ceci dit l’information tourne dans les communautés, même si selon Jorge, coordinateur du centre de communication d’Oventic « il n’y a pas tant de projections que ça, on n’est pas très nombreux, ici on est quatre à être bien formés et ça nous laisse peu de temps pour sortir mais c’est quelque chose sur quoi on travaille (…). Ce que nous faisons c’est aller chercher l’info dans les communautés et sur Internet et amener cette info aux radios communautaires, c’est eux qui diffusent le plus. L’autre chose c’est la vidéo, il y a des municipes autonomes qui font des documentaires sur ce qui se passe, sur ce que nous faisons, comme ça les gens peuvent savoir ce qui se passe dans d’autres municipes ou d’autres parties du monde. » L’acquisition de matériel de projection en nombre suffisant et d’une flotille de véhicule pour circuler entre les communautés est pour l’instant au-delà des moyens de Promedios, mais le besoin s’en fait sentir. Récemment, un film réalisé à Oventic a gagné un prix dans un festival aux États-Unis : l’argent récupéré à servi à agrandir le centre de communication. De même, l’argent des ventes des films en France est reversé aux différents caracols.

 

Article paru dans le Combat syndicaliste , n° 317, mai 2007.

Dernière mise à jour : ( 28-10-2008 )